jeudi 16 janvier 2014

# Quotidien

Forum-1 chaque jour, même espace même table même rituels, ils déjeunent à midi, combien de convives de plats de parole. Ils filment le réel, Meggie Schneider et Simon Fravega. Dans une boîte, du vivant au creux de leur atelier. 


Elisabeth Ambrose, je ne sais pas. Parfois je ne me rends qu'en ma vie minuscule. Si minuscule. Souvent, moi-même, je la perds de vue. 

Hors Pistes à Pompidou, et moi derrière l'écran, combien, question, pluriel. 
J'habite un corps dont les organes n'excèdent que très rarement 140 caractères. 

Elisabeth Ambrose, je dois la fabriquer quoi qu'il advienne, j'ai besoin d'elle, je l'ai nommée, l'auteur invente son héroïne. Elle coud le corps d'abord pour le remplir après. Elisabeth Ambrose, couche après couche, la glaise en states, dans ma chétive golem, l'atelier est ouvert, messieurs dames faites tourner. Je suis bien obligée d'être la narratrice, celle qui prend la parole pour la redistribuer.

Hors Pistes, Centre Pompidou. Sur ce blog essayer un truc, peut-être qu'Elisabeth, elle peut se débrouiller toute seule d'ici une nuit ou deux. 


                                                                  *


D'ici là l'exercice, c'est d'écrire un court texte qui commence par : 


                             "L'hiver 2014, tu sais, je m'en souviens."
                              

3 commentaires:

  1. L'hiver 2014, tu sais, je m'en souviens. La crue. Les pavés livrés aux dévorants de la pluie. Les trombes d'eau qui miaulent en chat à neuf queues. L'hiver 2014 et son ciel de nuit, soleil au zénith.

    Les lignes de presse ont minimisé : tempête d'hiver. Normal. Normal en ce bout du bout du monde. Cette littérale fin de terre. À peine deux trois pages écrites petit, une phrase à la caméra. Et puis la jolie photo du carrousel, du carrousel qui tournait, qui tournait toujours sous l'eau, jouet du monde aquatique.
    Les noyés ont silencieusement rejoint les avis de décès. La chair blanche, gonflée, c'est pas télégénique.

    L'hiver 2014, tu sais, je m'en souviens. Quand la portière de voiture claque, sans la moindre méchanceté en plus. Que je me retrouve seule. Stupide. Stupidestupidestupide(postillons)stupidestupide. Stupiiiiiide. Stupide.
    Le sang se met à siffler, bout aux tempes, température proche de l'évaporation.
    C'est en moi, ça n'a pas de nom. Ou alors trop banal, trop bête, trop nouveau. Ça pulse, c'est dangereux. Ma cage de chair ne tiendra pas longtemps. Elle éclatera et après, après ça éventrera la voiture, pour se répandre, causer les pires ennuis.
    C'est pas comme si j'avais le choix.
    J'écrase l'accélérateur sous le ciel lourd. Urgence. Ma banquise intime fond de plus en plus vite sous la fournaise. La glace retombe en volutes sifflantes, en couleuvres qui s'insinuent sous la peau. Je déglutis. Plus vite. Il y a encore quelque chose à faire mais vite.
    Je pile, pneus à quelques centimètres du vide. Je sors. Le vent saisit l'opportunité et m'échevèle. Face à moi la mer. Qui n'a rien demandé.
    L'hiver 2014, tu sais, je m'en souviens. Je plante mes iris dans les vagues, je me laisse flamboyer. L'eau se rebiffe. Des creux mouvants se forment. Du coin de l'oeil je note : un peu plus haut sur la falaise une silhouette. Sous l'arbre dénudé. Masculin. J'aurais dû vérifier avant. Trop tard. Les vannes sont ouvertes et de mes lèvres s'échappent imprécations et douleur. Je crie face au désert gris d'écume. Frustration, malédictions, haine. Je retourne mon poignard contre l'eau plutôt que de le maintenir sous ma gorge. Je démonte la mer. Ou peut-être, juste, je joue les lyriques à deux roupies. Peut-être, juste, pendant les mois noirs de la fin de la terre, c'est normal de recevoir des paquets d'écume dans la gueule. Je continue à brasser la proto-magie druidique, c'est tout ce qui me reste.
    Le type sous l'arbre n'existe plus. Balayé par mes hurlements. La mer ne plaisante plus, cherche à m'enserrer, se cabre sous le poids de ce que j'ai dégazé, petit chalutier haineux.
    Ma litanie s'épuise. Elle n'a pas tout balayé, mais ma peau a cessé de fendiller. Au moins. Je tourne les talons. Ce soir le vent soufflera. Et les lames déferleront dans la ville, leur sel dans mes cicatrices.
    L'hiver 2014, tu sais, je m'en souviens.

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  2. L'hiver 2014, tu sais je m'en souviens. Sur la ligne A du RER formats PDF téléchargés pour m'exploser les mirettes. L'écran connecté aux mots de Mary Rose, personnage avorté, je crée un profil fictif sur facebook. Un de plus. Mais tous les maux de passe se ressemblent. Autant de moteurs de recherches autant d'avatars. Décembre est le mois des personnages de fictions. Franza, Bouchara, Alice, Emma, Anna, Bertha, Irma valsent sur les touches de mon clavier refroidies par une neige qui ne vient toujours pas. Y aura-t-il de la neige à noël demande Sandrine ? Derrière la vitre fermée une madone pleure au rythme des boules lancées par ses enfants sur les carreaux. Explosés, les cristaux de glace
    tambourinent son coeur habillé de noir. Tombe la neige chante Adam. Tu ne viendras pas ce soir. Impassible désespoir. De l'entendre mon ventre est verglassé. Les larmes blanches de cette femme recouvrent tous mes profils jusqu'au mois de mars. Les gerçures de l'hiver se désincarnent dans la froideur informatique qui m'écarte du visage flou d'Élisabeth. Avec une image sans consistance la peau éclate en mille crevasses. Se fourrager les veines c'est escalader les pics enneigés d'une narration vierge. Dans une poudreuse jamais déflorée, chaque pas crisse sa voix et risque l'avalanche. Je me penche au dessus des glaciers et chuchote mon nom. Tous les échos se meurent au bord des bouches exsangues. Le reflet d'Élisabeth est aussi glacial que sa page fictive ouverte en janvier dernier.

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  3. “L'hiver 2014, tu sais, je m'en souviens. On m’a dit pour la première fois qu’on m’aimait. L'hiver 2014, je veux l’oublier ou m’en souvenir jusque sur mon lit de mort.”

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