dimanche 12 janvier 2014

# Découverte / Premières fois

Reprenons.


Elisabeth Ambrose est née Latitude 48N50, Longitude 2E20; elle est Balance ascendant Lion, signe solaire prémédité. On pourrait ici insérer la capture argentique de ses tâches de rousseurs. Le blé et l'orge, n'est-ce pas. Dans le miroir, son teint laiteux, chaque matin lui donne la nausée.

Elisabeth pense à sa soeur, à l'odeur de la peur incrustée au coton. Elisabeth pense à leur père, à sa peau, au magma, au chant de la grosse pierre. Elle ne se souviendra pas de ce qu'il s'est passé. 

Elle ne se souvent que de l'air. Il était frais, un peu musqué, efficace comme un vers d'oreille. Une brise qui se cabre d'un coup à l'orée du refrain. La poussière s'est levée, informe, mais aveuglante. 

Le prénom de sa soeur, elle cherche à l'oublier. Comme sa mère qui pleurait. Ma fille est une sorcière j'ai reproduit l'Enfer, c'est ça qu'elle répétait en s'arrachant les cheveux. Sa mère, elle voudrait s'en souvenir, juste un très bon souvenir, plus tard, à l'occasion. Peut-être que ce n'est pas important. Qui sait. Elisabeth doit être patiente, de toute façon, elle n'a pas le choix. 

Elisabeth a peur du noir, déteste qu'on lui lise des histoires, mais davantage encore qu'on raconte la toucher. Une fois, elle s'est mise en colère. La tapisserie s'en est ressentie, de même pour tout le mobilier. Ca a un peu gâché la fête. 

Elisabeth ne mange plus de criquets. Ca lui faisait vomir des grenouilles, une fois scolarisée elle a du renoncer, un peu comme s'énerver en boums. 

Elisabeth a vingt six ans. Elle se dessine doucement, pour l'instant très doucement. Elle ferme sûrement les yeux. Le fauteuil à oreilles est aussi à bascule. 




4 commentaires:

  1. Nous avions dix ans à peine me revient en pleine figure. Entre Quentin Tarantino et François Ozon Elisa enfonce ses ongles et ses doigts délicats dans la tête des personnages de Xavier Dolan. Assise au fond de la classe dans sa petite robe d'été Elisa se dit que jamais elle n'aura la grande image, celle que la maitresse offre à ceux qui ont obtenu cinq bons points. Elle aimerait bien l'obtenir mais elle n'est pas prête à tout pour ça. Vraiment pas. Elisa est libre dans sa tête. Son voisin de derrière, Frédéric, désespère qu'elle le regarde et lui prête son cahier. Mais elle ne veut pas du tout qu'il lise son écriture et le cache dans son casier en bois. Frédéric croit qu'Elisa la snobe mais ce n'est pas ça. Elle a honte de ses phrases à elle qui prennent toute la place de celles dictées par la maitresse. Pendant le leçon elle marque souvent des lettres sur la page et absorbe l'encre bleue avec le papier buvard rose. Parfois elle ne fait que ça absorber. Les taches font comme des nuages tout le long de leur extrémité. C'est ce qu'Elisa préfère. Quand la tache s'arrête et file sur les minuscules veines du papier buvard. Elle fixe si fort ce moment que tout devient flou autour d'elle. Étourdie lui dit la maitresse. Elle le marque souvent dans les marges d'Elisa. Elisa est trop étourdie. Elle fait des fautes d'inattention a-t-elle dit à sa mère lors de la réunion avec les parents. Son attention décroche et on ne sait pas pourquoi. Elle est comme absorbée dans ses pensées. Silencieuse Elisa ne dit pas qu'elle ne sait pas vraiment pourquoi mais qu'elle adore cet état ce flou du regard, cette absence à tout. Parfois elle a du mal à revenir à la netteté oculaire. Elle ne se souvient pas de la première fois qu'elle a ressenti ça. Il lui semble que cela a toujours été là. Quand quelqu'un rit elle rit pour accompagner celui qui lui parle mais en vérité elle n'entend plus depuis longtemps son interlocuteur. C'est là dans le rire qu'elle s'en rend compte un peu gênée. Frédéric aime Elisa exactement à cause de ça. Il a la même chose mais en pire. Chez lui c'est quasiment tout le temps là si installé qu'il ne peut presque pas écrire et a des résultats catastrophiques. Aussi il ne comprend pas pourquoi Elisa ne veut pas lui prêter son cahier pour rattraper son retard. Il est si en colère qu'il vole les pages dans le casier d'Elisa. Et comme ça ne suffit pas il les jette sur un terrain vague du chemin de l'école. Elisa le prend tous les jours. Il l'a fait exprès pour qu'elle le remarque. De rage il a barbouillé toute les feuilles avec un stylo bic rouge. Si fort que certaines se sont déchirées. En les ramassant par terre Elisa a vaguement compris que Frédéric lui accordait une importance démesurée pour salir à ce point ses lignes déjà écrites.

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  2. Elle, Elisabeth. Trois ou quatre autres corps. Échoués sur un matelas défoncé, musique quelconque à donf, porte fermée depuis qu'ils sont montés dans la chambre ça fait cinq heures. Ils rigolent quand la mère d'Anna vient frapper, dit que bon, ça suffit maintenant ils vont pas rester toute la journée enfermés et puis ça doit puer là-dedans elle sait ce que c'est elle a été ado elle aussi mais bon faut pas pousser. Et puis elle tourne les talons avec un bruit de gorge, descend les escaliers clac clac. Elisabeth rigole aussi, ça occupe.

    Les conversations naissent se déploient et meurent. Lentes. Asthmatiques. Nécessaires.

    Et puis la tête d'Elisabeth tressaille, se redresse. Brutal. Impulsion électrique des tympans jusqu'au cou. Elle demande c'est quoi ça. Quoi. Le truc à la radio là. Je sais pas pourquoi. J'aime bien. Ah ouais. Ils lèvent les yeux vers elle, vides toujours. C'est un peu déplacé, là, l'enthousiasme.

    Il se passe quelque chose. Ça n'est pas de la musique. La musique c'est le bruit de fond. Celui qui masque ou bien le truc que tu écoutes avec tes parents en faisant semblant de comprendre. En souriant aussi parce que c'est pas mal. Alain Souchon Laurent Voulzy Bobby Lapointe Serge Gainsbourg. Pourquoi pas. Voilà. La musique c'est pourquoi pas.

    Pas là. Là c'est pourquoi. La voix semble vouloir percer le tapis de notes et d'harmonies. Derrière, Elisabeth sent l'air et les cordes vocales qui se contractent. La soufflerie des poumons qui brasse l'air douloureusement aspiré. Le cœur qui frappe aux tempes oxygène en urgence. Il doit faire froid dans la chanson, on ne peut pas chanter ça autrement que sur la banquise en pleine tempête de neige. Et ça ne raconte pas. Ça ne suit pas une ligne ou des méandres. Ça attaque ça lutte ça se brise. C'est quelque chose de nouveau, quelque chose que les synapses d'Elisabeth ne parviennent pas à connecter. Son monde se fendille attention au plâtre qui tombe.

    On est le lendemain, Elisabeth fouille dans la boîte à thé où s'entassent les billets, l'argent de poche inutile. Elle achète tout ce que la sorcière des banquises a jamais enregistré. File dans sa chambre tourne la clé. Et le casque sur les oreilles sent le monde se brouiller.

    Bande-son : Björk  « Bachelorette »

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  3. Pendant un paquet d’années qu’on appelle l’enfance, ils sont trois chez les Ambrose. Si on ne compte pas les vieux, ni les clients de l’hôtel. Puis, un long jour de juin au cours duquel Elisabeth n’a rien demandé, comme à son habitude, son père l’emmène à la maternité voir sa mère et un bébé qui dort avec un bonnet. Il fait si chaud, Elisabeth ne comprend pas. Ni même ce qu’est d’avoir une sœur. On lui présente Anna, prénom qu’elle oubliera à plusieurs reprises. C’est la première fois qu’elle voit un être aussi gracile et qu’elle éprouve de la pitié pour quelqu’un… car elle pense aux parents qu’Anna a aussi et encore une fois, elle ne comprend pas.
    Elisabeth découvre qu’elle n’est plus seule descendante dans le carnet de famille.
    Fille unique jusque là, même en vacances chez ses cousins elle était unique. Elle était la seule qui n’avait pas école car originaire de zone B migrée en zone A. La clandestine de Noël, février, Pâques, de l’été, la Toussaint poussant même l’intrusion à quelques ponts et week-ends ici et là. Elle attendait des heures, immobile dans le jardin, elle attendait d’entendre la cloche qui sonnerait 16h30, la fin de l’école de ses cousins. Elle ne pouvait pas regarder sa Flic Flac, elle ne sait pas pourquoi, elle préférait être à l’affût de la cloche. On l’appelait « la touriste». « Tiens, la touriste est de retour » !
    Elle n’a jamais été en colonie. Elle n’a jamais attendu que les monos dorment pour rejoindre les garçons en douce. Elle n’a jamais eu d’étiquette « Elisabeth Ambrose » cousue sur ses culottes. De toute façon, elle déteste son nom. Elle déteste avoir peur du noir, qu’on lui lise des histoires, tout ça là.
    Elisabeth déteste sa vie.

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  4. Elisabeth Ambrose a dix ans. Elle collectionne les sacs plastiques. Elle a plusieurs grandes boîtes (on peut en distinguer trois), de différentes tailles, une rouge, les autres de couleur indéfinie. La rouge est striée, elle aime cette matière, faire passer ses doigts sur le haut de la boîte. Relief. Elisabeth aime déplier, plier, replier, ranger, caresser, replier, reranger, les sacs plastiques. Ils y en a de très beaux, de très précieux. Sacs d'épiceries orientales, de supermarchés, de librairies, de magasins de vêtements, de pharmacies, de marchands d'anecdotes. L'important est de ne pas avoir de doubles. Elisabeth Ambrose traque les doubles. L'important, c'est que chaque sac soit unique. Plier. Ranger. Des piles au fond d'une boîte rouge striée, pleine de matière. Elle aime sentir ces choses, cette accumulation. Elisabeth a dix ans et elle aime consommer, posséder, mettre de côté. La collection est tombée un jour dans l'oubli, dans les limbes de l'abandon. Un jour Elisabeth a compris que la collection était restée très loin derrière. Disparue. Sac poubelle. Boîte à ordures.
    Puis le bordel. Si on pouvait retrouver ces boîtes.

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